BUSHMAN

" Tourné en 1968, alors que la colère allumait les émeutes des ghettos et des campus américains, le film était resté invisible pendant cinquante-cinq ans aux États-Unis, aucun distributeur n’en ayant voulu.
« Trop courte », « inclassable », cette fiction-documentaire de 73 minutes effrayait surtout par le regard lucide qu’elle portait sur l’Amérique des années 1960, à travers les yeux d’un Nigérian exilé loin de son pays livré à la guerre civile et découvrant sous le soleil californien un autre conflit, plus larvé mais non moins violent. Bushman doit beaucoup à l’interprétation de Paul Eyam Nzie Okpokam, qui déroute la chronique attendue des errances de la contre-culture vers une réflexion plus profonde sur la solitude de l’exil, l’engagement et la communauté. Il aurait pu revendiquer le titre de co-auteur du film, lui qui, de l’aveu même de Schickele, avait directement inspiré l’écriture du scénario et dont les saillies lumineuses rythment sa dérive beat. (...)
Le film le cueille sur une ligne indécise entre réalité et fiction qu'il ne cherche jamais à élucider. Pieds nus sur une route californienne, sa paire de Converse en équilibre sur le crâne, il est pris en stop par un hippie tout droit échappé du tournage d’Easy Rider. Cet apatride désenchanté entame une épopée sans but, emmenée par un montage cut où s’invitent les images et souvenirs de son pays natal. De la communauté noire qu’il fréquente dans le vieux quartier de Fillmore en voie de démolition, à la bourgeoisie intello blanche qui l’adopte comme amant ou fétiche progressiste, son voyage le porte à observer, sans cynisme mais sans illusions, « un pays où personne ne le connaît »."
Alice LEROY - LES CAHIERS DU CINÉMA